Fiche technique :
Avec Derek Magyar, Darryl Stephens, Jonathon Trent, Patrick Bauchau, Emily Brooke Hands, Molly Manago, Matt Riedy, Joël René, Jesse Archer et Chris Bethards. Réalisation : Quenton Allan Brocka. Scénario : Q. Allan Brocka & Philip Pierce, d’après le livre de Mathieu Rettenmund. Directeur de la photographie : Joshua Hess. Musique originale : Ryan Beveridge. Montage : Philip J. Bartell.
Durée : 91 mn. Disponible en VO et VOST. Actuellement à l'affiche en salle.
Résumé :
Dans une colocation, située à Seattle, habite un trio hétéroclite mais homo. Il y a Andrew (Darryl Stephens), black et romantique qui découvre le milieu gay ; Joey (Jonathon Trent), une sympathique salope à peine sortie de l’adolescence, à la recherche d’amour et de sexe, et surtout X (Derek Magyar), un prostitué de luxe, vivant grassement de ses passes. Il assume pleinement son activité mais n’a aucune relation sexuelle en dehors de son travail. C’est à travers son regard que l’on aborde cette tranche de vie gay. Il est troublé, après plusieurs années de carrière, par un de ses clients, Gregory (Patrick Bauchau), un septuagénaire énigmatique qui vit comme un ermite. Le vieil homme refuse de coucher avec X, tant que celui-ci ne le désirera pas. Cependant, il le paye pour écouter l'histoire de sa vie en attendant que monte le désir. Se raconter n'est pas vraiment l’activité préférée de X. Il est doté d’un caractère plutôt introverti où perce le cynisme, la froideur et le désenchantement mais, paradoxalement, il espère toujours trouver le grand amour ! Très vite, X a l’impression que ses entretiens avec Gregory l’aident à redécouvrir différents aspects de lui-même qu’il avait enfoui aux tréfonds de lui-même : le jeune homme empli d’espoir ; le gay qui commence à s’affirmer ; l’homme qu’il pourrait devenir, heureux d’avoir aimé... L’attirance secrète de X pour Andrew est bientôt remplacée par une chose plus tendre et vulnérable et, bien sûr, plus effrayante, réveillant des émotions que X n'avait pas ressenties depuis des années…
L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Boy Culture dose habilement sexe et romantisme. Le spectateur peut à la fois satisfaire son désir de voyeur (trop peu) et s’émouvoir. Sous les couleurs de la comédie, Brocka aborde avec légèreté des thèmes graves dont celui si peu traité, au cinéma du désir, d’un « vieux » pour un jeune homme, mais aussi le couple, la relation du désir avec l’argent, le désir d’avoir un fils... Le cinéaste définit bien son film grâce à cette déclaration : « On peut dire que c’est un ménage à trois impossible, avec tout le jeu des tentations qui gravitent autour et que l’amour vient compliquer. »
Le film est adapté d'un recueil de nouvelles de Matthew Rettenmund, datant d’une dizaine d’années, ayant pour thème l'homosexualité. Une série de 23 histoires qui se terminent généralement par une relation sexuelle. La difficulté de l'adaptation était de réunir l'ensemble de ces récits pour en faire un film cohérent, tout en gardant les questions posées par le recueil sur la vie gay. « Le film est donc très différent du livre, même si les thèmes et les sujets sont les mêmes et finissent par se rejoindre. Il était surtout essentiel de rendre ces histoires plus dynamiques à l'écran » explique le réalisateur.
Mais Boy Culture sollicite beaucoup plus nos références au théâtre que celles se rapportant au cinéma ou à la littérature, tant pour la forme que le fond. La majeure partie de l’intrigue se déroule dans deux appartements, décorés d’ailleurs avec beaucoup de goût. Quant à la voix off, elle est beaucoup plus proche d’un aparté sur une scène que de l’utilisation que l’on en fait habituellement au cinéma. L’intrigue se circonscrit entre quatre comédiens seulement, là encore nous sommes plus en présence d’une troupe que d’un casting de long métrage. Les personnages annexes, mis à part la famille d’Andrew à qui l’on doit la scène la plus savoureuse du film, n’apportent pas grand-chose. Avec ce marivaudage, Brocka et son scénariste réactualisent « version gay » un théâtre à la Bernstein ou à la Guitry comme le fait un peu en France Jean-Marie Besset, mais avec plus de grâce que ce dernier. Nous sommes dans le bon théâtre de boulevard américain, dans la lignée d’un Edward Albee.
Le producteur et scénariste Philip Pierce, au vu du succès de Eating Out, a ressorti le projet de Boy Culture des cartons où il croupissait depuis dix ans. Il supputa que Brocka serait l'homme idéal pour mener à bien son script. Le réalisateur a été séduit par le personnage de X, qu'il considère un peu comme son alter ego : très doué pour la distanciation sur son milieu et ses règles mais dès qu'il s'agit de lui, bloqué par un renfermement émotionnel, doublé d'un cynisme encombrant. Le tournage a eu lieu en novembre 2004 à Seattle. Il dura dix-neuf jours, dont trois de pluie intense... ce qui explique peut-être le peu d’extérieurs.
Filmé caméra à l'épaule, en numérique d’une facture standard mais pas indifférente à la géométrie du cadre, Boy Culture se veut aussi, plus ou moins, un docu-fiction, impression renforcée par la voix off du héros qui nous commente ses choix de vie. Ainsi apprend-on que X n'a couché qu'une seule fois dans sa vie par amour, qu'il a une douzaine de clients qui le payent royalement, et qu'il ne parvient pas à avoir confiance dans les autres. Le film suit les confessions de X sur une sorte de divan virtuel. Le réalisateur en fait le porte-parole du malaise que traversent, selon le film, les jeunes gays en général, malaise dont la cause principale serait la recherche du plaisir dans le sexe par peur de s’engager dans une histoire d’amour. Constat qui ne me parait pas erroné même s’il me semble moins vrai qu’il ne le fut à une époque.
La voix off est trop souvent une béquille pour des réalisateurs incapables de transcrire en images les sentiments de leurs personnages pour ne pas remarquer cette fois la pertinence de son utilisation et la qualité de son écriture, bien servie par la belle voix chaude de Derek Magyar. Elle nous fait part des réflexions de X qui sont souvent en complet décalage avec l’image, ce qui est un des ressorts humoristiques du film. Il n’en reste pas moins que cette figure de style fait de Boy Culture un film très bavard et lui donne un coté théâtre filmé, impression renforcée par le peu d’extérieurs. Le décor de Seattle est sous-exploité : on ne verra de la ville qu'un banc public dans un parc, une terrasse de café et... quelques plans de rue sous une pluie battante, mais tout de même sa célèbre tour émettrice. Même Queer as Folk montre plus Pittsburgh, c'est dire !
Les acteurs sont parfaits et en plus, ils sont aussi très agréables à regarder chacun dans leur genre. J’attends avec impatience de retrouver Jonathon Trent dans le rôle de l’assassin de Versace dans Fashon victim ; quant à Darryl Stephens, c’est un habitué des films gays. On peut le voir dans la série Noah’s Arc, dans Circuit et dans Another gay movie. Il me semble toutefois que Derek Magyar n’a pas tout à fait le physique pour être une escorte irrésistible. Je paierais bien pour avoir les deux autres dans mon lit mais justement pas pour lui, mais cela ne regarde que moi, aussi cher lecteur, excusez cette considération déplacée... Brocka confesse qu’il a eu bien du mal à trouver son interprète : « Je n’aurais pas cru que cela aurait été si difficile, mais c’était une question d’équilibre, de dosage, comment trouver quelqu’un qui soit craquant, mais pas trop, avec juste une dose d’arrogance et de suffisance, mais encore là pas trop, pour que le public puisse l’aimer, et nous l’avons trouvé, finalement, en Derek Magyar, qui a la voix profonde et le look incroyable qu’il nous fallait. » Mais c’est Patrick Bauchau qui domine la distribution, un acteur dont la vie ferait un très bon scénario et qui est tout aussi cultivé et raffiné que son personnage de Gregory. On l’a découvert il y a bien longtemps, en 1966, dans un des premiers Rohmer dans lequel il incarnait Adrien, le jeune dandy qui se refuse sans cesse à l'héroïne du film : La Collectionneuse. Les habitués de la série Le Caméléon l’auront reconnu : il est le protecteur de Jarod. On l’a remarqué également dans La Caravane de l’étrange et dans bien d’autres séries.
Le prostitué est l’une des figures majeures du cinéma gay et pour ma part je le regrette. Il ne me semble pas que cette pratique soit aussi présente dans la communauté gay qu’elle l’est sur les écrans, comme le suggère la pléthore de films qui aborde ce sujet. La prostitution y est présentée généralement sous son jour le plus noir, voir John, F. est un salaud, Twist, Mysterious skin, River made to drown... Ici, au contraire, X semble heureux de son sort, presque fier de son activité. Il me parait douteux que beaucoup de gigolos puissent vivre confortablement de leur activité et surtout en étant aussi équilibré que notre héros. Cette vision me parait relever du même fantasme que l’histoire du clochard qui est riche ou qui a une bonne pension mais qui préfère vivre dans la rue. On se fabrique la bonne conscience que l’on peut.
Quenton Allan Brocka est le petit neveu du cinéaste philippin Lino Brocka, mort en 1991 dans un accident de voiture qui pourrait bien être un assassinat maquillé, dont l’œuvre était marquée par l’homosexualité. Il tourne beaucoup : déjà une dizaine de courts métrages et deux longs à son actif alors qu’il n’a guère plus de trente ans. Il travaille actuellement sur une série de dessins animés gays pour la télévision, Rich & Steve, the happiest gay couple in all the world. Il s’en explique : « Ado, je ne me suis jamais reconnu dans la production cinématographique ou télévisuelle, donc je tourne beaucoup pour offrir aux autres une vision plus gay du monde. » Un beau programme.
Boy Culture a gagné de nombreux prix dans plusieurs festivals, notamment un Prix du Jury du meilleur film au Festival du film international Gay et Lesbien de Philadelphie et un Grand Prix du Jury du meilleur scénario au L.A. Outfest. Toutes les réalisations du cinéaste se passent dans le milieu homosexuel. Avec son premier opus, Eating Out, il a fait un tabac dans les festivals gays. Eating Out 2 est déjà tourné mais Brocka n’en a cette fois écrit que le scénario, la réalisation étant assurée par Bartell, l’habile monteur de Boy Culture.
Boy Culture est une comédie intelligente, bien écrite et bien jouée par des acteurs canons, un film qui dit des choses graves sur la vie gay avec légèreté et qui sait à la fois nous émouvoir et nous faire rire.
L’avis de Matoo :
Ce film c’est LE film pédé du moment, mais disons-le tout de go, il ne rentrera pas dans mon panthéon ! Et pourtant il marque pour moi une sorte de tournant dans la production de films à thématique gay. En effet, au même titre que les chick-movies ou les teen-movies, il s’agit, à mon avis, d’un des premiers véritables fag-movies. Et du coup, je ne l’ai pas trouvé meilleur qu’un épisode de Queer as Folk, avec tout de même en prime pas mal de lourdeurs, maladresses et des moments qui m’ont carrément saoulé. Pourtant, il représente avec pas mal de talent et ironie grinçante une certaine « vision pédé » de la « vie de pédé ».
Le héros, X, est un prostitué de 25 ans, qui a l’air d’en avoir 30 (impossible de dégoter la date de naissance du mec, Derek Magyar), et qui est un mec évidemment extrêmement charmant et totalement « fucked-up ». En effet, ce dernier n’a pas eu de rapport sexuel depuis qu’il fait son métier, et a du mal à s’imaginer dans une relation de cul non commerciale. Mais il habite depuis un an avec deux colocs, Andrew (Darryl Stephens), un superbe black dans le genre assez « sage », et Joey (Jonathon Trent), l’archétype de la jeunette salope et paumée. X craque pour Andrew, mais ne sait pas vraiment comment analyser ses sentiments, et dans le même temps X tombe sur un client âgé, qui n’accepte de coucher avec que lorsqu’il le désirera sincèrement.
À la base, j’allais plutôt voir le film avec de bons a priori, parce que cela se passait à Seattle (et non pas à New York ou San Francisco), et parce que l’histoire me paraissait pouvoir dégager quelque chose qui dépasserait un peu l’orientation sexuelle. J’en ressors à la fois correctement diverti, et aussi un rien agacé. Je pense surtout qu’il n’arrive pas à la cheville d’un Beautiful thing ou d’un Get real. Mais encore une fois, ces deux derniers films sont ceux de mes vingt ans à moi, et je pense sincèrement que Boy Culture est un film pédé pour ceux qui ont vingt ans aujourd’hui. Je ne doute donc pas qu’il plaise à un certain public. Et ils ont au moins cette chance de voir un film qui leur parlera, car il a cette qualité de mettre en scène quelques types d’homos que nous connaissons tous. Au moins, on sort des clichés homos en tant que visions hétéros, et on passe à des portraits de gays d’aujourd’hui relativement crédibles.
Ce qui m’a foncièrement fatigué, c’est le parti pris de la narration. X se la joue héros plus narcissique que Narcisse lui-même, et il est en voix-off pendant tout le film. Et bla bla bla, et il parle de ses problèmes existentiels qui franchement ne sont pas plus captivants que cela, et puis c’est verbeux et pas toujours très bien écrit. Il tergiverse sur des coquecigrues, et ça se termine en boite de nuit ou bien par une crise suicidaire (ils auraient du lui faire écouter du Mylène, tiens !). Bref, on est dans le teen-movie version tafiole, donc c’est normal.
Là où les choses s’arrangent un peu, c’est que l’orientation sexuelle ajoute un peu de piment à des scénarii qui sont normalement complètement cadrés et formatés. Avec des homos, on peut facilement être surpris par des mœurs un peu particulières, ou bien des relations amoureuses alambiquées, et des situations pas forcément standards. Mais finalement, le film s’arrête aux moments où l’on voudrait que le réalisateur, Q. Allan Brocka, explore un peu plus les failles de ses personnages, qu’il pousse plus sa réflexion, qu’il transcende l’orientation sexuelle pour universaliser un peu plus son propos. Il reste plutôt au ras des pâquerettes, et se contente de nous servir son intrigue mollassonne, qui en plus se termine par un happy end des plus conformistes.
Les quelques moments jubilatoires sont trop rares, soit servis par quelques répliques « langue de pute » cinglantes (enfin du niveau de Next hein, faut pas pousser non plus…), et particulièrement par le coming-out d’Andrew et le personnage de la frangine. Mais alors qu’on sentait un potentiel terrible pour cette dernière et cette partie de l’intrigue, il n’est pas du tout exploité… et le soufflé retombe.
Ouuuh là, je voulais dire du bien du film aussi, car je n’ai pas non plus trouvé que c’était un navet, mais force est de constater que ce n’est pas ce qui ressort de ce que j’écris là (et qui me vient tout naturellement, je n’ai pas de plan…).
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